Poutine

Découvrir la poutine du Québec

Les tensions politiques ne sont jamais loin de la surface dans cette province canadienne, même lorsqu’il s’agit de cette collation bien-aimée composée de frites, de fromage en grains et de sauce.

« C’est le plat officiel non officiel du Canada. En fait, s’ils arrivaient à le faire bien paraître sur un drapeau, les jours de la feuille d’érable pourraient être comptés », a plaisanté Jamie Oliver dans un article sur la préparation de la poutine parfaite. Aussi inoffensif que le commentaire d’Oliver puisse paraître, il illustre parfaitement comment un plat qui suscite des sentiments réels d’héritage et de culture dans la province canadienne du Québec peut lentement perdre son identité régionale.

Que ce soit dans un restaurant animé de fin de soirée ou dans un café tranquille de campagne, la poutine, composée de frites garnies de fromage en grains frais et salé et d’une sauce riche en viande, reste un plat réconfortant simple et intemporel. Bien que ses origines modestes se situent dans les bastions laitiers ruraux de la région du Centre-du-Québec, la popularité de ce plat s’est répandue dans les cafés et les bistros de Montréal dans les années 1970, a fait son apparition sur les menus des géants de la restauration rapide comme Burger King et McDonald’s une décennie plus tard, et est devenue un favori dans tout le pays au début des années 1990.

Mais les tensions identitaires ne sont jamais loin de la surface dans la seule province francophone du Canada, même lorsqu’il s’agit de son exportation culinaire la plus appréciée. De la chaîne de restaurants au Canada aux camions de cuisine de rue en Europe et en Asie, la poutine a beaucoup voyagé. Mais plutôt que le drapeau fleurdelisé québécois, c’est le symbole de la feuille d’érable canadienne qui apparaît le plus régulièrement sur les menus accompagnant le plat au-delà des frontières de la province.

poutine

Il n’y a pas que l’iconographie qui brouille son identité. En 2016, le président américain Barack Obama a servi de la poutine au Premier ministre canadien Justin Trudeau à la Maison Blanche car « nous voulons que nos amis canadiens se sentent chez eux ». Le vénérable magazine canadien Maclean’s est allé jusqu’à couronner la poutine comme le plat le plus emblématique du pays dans une enquête de 2017. Que ce soit à travers des images audacieuses ou des mots prononcés avec négligence, l’héritage régional du plat est souvent occulté.

J’ai moi-même goûté pour la première fois à la poutine dans les mains d’un homme surmené à la tête d’un food truck, au milieu du bourdonnement incessant de l’heure du déjeuner au centre-ville de Toronto. Un après-midi d’été étouffant dans le plus grand quartier financier du Canada n’est ni le moment ni l’endroit pour manger une poutine, mais le riche fromage fondu et la texture tendre mais élastique m’ont donné envie d’en redemander. Mais j’avais aussi envie de goûter ce plat dans sa province d’origine, et quelques mois plus tard, je me suis retrouvé à braver les vents froids de l’automne montréalais pour me rendre à La Banquise, l’institution de la poutine de la ville.

J’ai parcouru le long menu, un buffet de 30 plats délicieusement réconfortants. J’ai choisi La Savoyarde, une montagne gratuite du combo standard de la poutine, généreusement garnie de bacon et d’oignons, plus du fromage suisse et de la crème aigre, qui a commencé à fondre lentement dès qu’elle a été présentée. C’était la poutine dans sa forme la plus flamboyante ; une indulgence éhontée et une satisfaction profonde.

Mais alors que je me réjouissais de déguster ce plat dans l’un de ses foyers spirituels, mes pensées ont dérivé vers les vendeurs de poutine que j’avais vus à Toronto, des endroits qui ignoraient largement les racines québécoises de ce snack régional que l’on voit partout en cuisine. Je me suis demandé si même cet humble aliment réconfortant ne pouvait pas être épargné par les tensions identitaires qui pèsent sur le Canada depuis des décennies. Bien qu’un certain temps se soit écoulé depuis le référendum sur la souveraineté de 1995, qui a été très serré, le fossé linguistique et culturel entre le Canada anglophone et francophone demeure. De nombreux Québécois ne sont pas convaincus de leur identité canadienne, craignant d’être toujours menacés d’absorption culturelle.

« Le plat devrait être, idéalement, étiqueté explicitement comme un plat québécois et non canadien pour souligner davantage le contexte culturel auquel il appartient réellement », écrit Nicolas Fabien-Ouellet dans sa thèse remarquée de 2016, Poutine Dynamics.

Et pour certains, toute appropriation se fait au détriment de la gastronomie canadienne dans son ensemble. « Nous diluons la cuisine canadienne si nous disons que les plats régionaux sont nationaux », a déclaré l’écrivain et critique de restaurants québécois Lesley Chesterman. « Il est plus intéressant de dire qu’un plat est québécois que de dire qu’il est canadien. Pourquoi ne pas mettre l’étiquette ‘québécois’ sur quelque chose qui est québécois ? ».

J’ai voulu creuser les origines de la poutine pour mieux comprendre sa résonance culturelle, et cela signifiait qu’il fallait parler à ceux qui vivent dans le cœur pastoral du Centre-du-Québec.

L’historien local Guy Raiche de la Société d’Histoire de Warwick fait remonter les racines de la poutine à la fin des années 1950 à Warwick, une petite ville rurale à mi-chemin entre Montréal et Québec. « Elle a été créée en 1957 au restaurant Café Idéal », explique-t-il. « Un client est entré un jour et a demandé au propriétaire Ferdinand Lachance de lui donner des frites et du fromage en grains ensemble dans un sac en papier parce qu’il était pressé. »

Malgré cette demande inhabituelle, Lachance a acquiescé en répondant « ça va faire une maudite poutine ! ». (« ça va faire une maudite poutine ! »).

Poutine

Dès lors, la combinaison des frites avec le célèbre fromage de la région devient un succès. « On a beaucoup de produits fromagers ici. Ça a commencé un peu comme ça parce que tout le monde venait dans les restaurants à l’heure où le fromage serait le plus frais », explique Marie-Hélène Beaupré de Tourisme Centre-du-Québec. « Donc, à 17 heures, tout le monde allait dans les restaurants juste pour avoir le fromage le plus frais et les frites les plus fraîches ensemble ». L’ajout de la sauce est arrivé quelques années plus tard, et il n’a pas fallu longtemps pour que la poutine trouve sa place dans les cafés et les snacks de Montréal et de Québec.

Mais si l’on trouve aujourd’hui la poutine agrémentée de kimchi, d’algues et même de fois gras, à ses débuts, elle était considérée comme une malbouffe de la classe ouvrière et, parfois, comme un sujet de honte. L’origine de son nom, qui se traduit par « désordre » en anglais, pourrait fournir une explication. Dans Poutine Dynamics, Fabien-Ouellet explique que « pour les générations plus âgées, le sujet même de la consommation de poutine est souvent évité et le plat lui-même déprécié, souvent considéré comme une invention culinaire embarrassante ».

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